lundi 8 septembre 2014

France 1944, ou comment combattre sa table de combat


L'ami Laurent Closier revient dans les pages de Dimicatio. Après son excellent article sur l'art du wargame par Joseph Balkoski voici une étude tout ce qu'il y a de plus sérieuse et intéressante, mais je ne vous en dit pas plus et vous en souhaite une bonne lecture. Arnaud.

La renommée de Mark Herman n’est plus à faire. Il suffit d’énumérer la liste de ses jeux à succès : la série Great Battles of History (avec Richard Berg), Gulf Strike, Pacific War, Peloponnesian War, For the People, Empire of the Sun, Washington’s War. Et puis, il y a France 1944 publié en 1986 par Victory Games. Boudé par beaucoup de joueurs à cause d’une table des combats peu intuitive, tentons de voir si celle-ci mérite toutes ces critiques.


L’objet du délit

Cette table est à l’origine de la réputation du jeu. Elle se décompose suivant 2 tableaux : le premier tableau (à gauche sur l’illustration ci-dessous) utilise un rapport de force classique entre les points de force de l’attaquant et ceux du défenseur combiné au résultat de 2d6 sans aucun modificateur. Le second tableau (à droite) est purement mécanique et utilise le résultat du premier tableau combiné au moral des combattants pour déterminer les pas de pertes et les reculs éventuels. Il se divise en 2 parties en fonction de la nature du combat : ‘Set Piece’ ou ‘Mobile’. Prenons un exemple : lors d’un combat de position (‘Set Piece Combat’) au cours duquel le rapport de force est de 2 contre 1 en faveur de l’attaquant, un résultat de 6 aux dés débouche sur un ratio result de ‘3’ (premier tableau). Avec un moral de 4 pour l’attaquant et de 3 pour le défenseur, le résultat final ‘C’ est de 2 pas de pertes pour le défenseur (convertible en 1 pas de perte plus un recul de 2 hexes) et aucune perte pour l’attaquant.


Afin de mieux comprendre cette table des combats, nous allons analyser le premier tableau d’un point de vue statistique et réécrire le second tableau sous une forme plus conviviale. Nous limiterons notre étude aux combats de position (‘Set Piece Combat’) et il suffira d’extrapoler les conclusions aux combats mobiles.

 
Le premier tableau (figure 1) est le seul à utiliser le hasard via la somme de 2d6. Un rapide coup d’œil nous montre que les attaques en infériorité numérique ne sont pas très pénalisantes et qu’elles déboucheront presque toujours sur un RR de 3 (même si à parité la probabilité tombe à 64%, ce résultat reste largement majoritaire). Le ratio 3:2 est celui qui a le plus de chance d’offrir un RR de 2 (25%). Le ratio 2:1 est le plus aléatoire même si un RR de 3 reste le plus plausible (42%). Enfin, un RR de 4 devient majoritaire aux ratios les plus élevés (3:1 et 4:1). Première surprise donc, les attaques à 1 contre 4 ou 2 contre 3 auront quasiment les mêmes effets, incitant les joueurs à multiplier les attaques à faible ratio au lieu de rechercher la parité. Ensuite, les attaques à 2 contre 1 sont propices aux surprises, bonnes ou mauvaises. Difficile d’anticiper leur résultat ou de baser une stratégie sur ce type d’attaque. Enfin, à partir de 3 contre 1, on se retrouve en terrain connu avec une logique d’évolution du RR de 3 jusqu’à 5 en fonction du rapport de force des combattants. Reste à savoir ce que cachent ces valeurs de RR.
Passons au second tableau. Ci-dessous, les codes alphabétiques A à D d’origine ont été remplacés par leur description sous la forme « pas de pertes attaquant/défenseur », avant toute conversion éventuelle d’un pas de perte en recul (R) pour le défenseur (1/2 converti en 1/1R ; 0/2 converti en 0/1R ; 1/1 converti en 0/0R).


Tout d’abord, on constate que si le moral du défenseur est inférieur ou égal au RR issu du premier tableau, celui-ci subira systématiquement 2 pas de pertes quelque soit le moral de l’attaquant (indiqué en rouge sur la figure 2a). A contrario, si le moral du défenseur est supérieur au RR, l’attaquant subira systématiquement 1 pas de pertes quelque soit son moral (indiqué en vert sur la figure 2a). C’est donc le moral du défenseur qui donne en premier lieu la mesure du résultat d’un combat, le moral de l’attaquant ne rentrant en ligne de compte qu’après.

 Ensuite, on remarque que si le moral de l’attaquant est supérieur ou égal au RR, il subira aucune perte face à un défenseur de faible moral et infligera systématiquement un pas de pertes à un défenseur de moral élevé (indiqué en pourpre sur la figure 2b). A contrario, si le moral de l’attaquant est inférieur au RR, il subira un pas de perte face à un défenseur de faible moral et infligera aucune perte à un défenseur de moral élevé (indiqué en bleu sur la figure 2b). On constate par ailleurs que la limite entre moral faible et moral élevé pour le défenseur correspond au RR.
En fait, le RR issu du premier tableau fournit une valeur pivot autour de laquelle gravitent les valeurs de moral de l’attaquant et du défenseur. On pourrait résumer ce second tableau par la figure 2c suivante :
 Si on développe la figure 2c pour chaque valeur de RR, on obtient les schémas suivants (figures 3a-3d)

 
A l’issue de l’analyse complète de la table des combats, que peut-on en tirer comme grandes lignes directrices ?
  • Les attaques en infériorité numérique doivent prendre pour cible des unités avec une valeur de moral inférieure ou égale à 3 afin de leur infliger presque systématiquement 2 pas de pertes.
  • Les attaques en supériorité numérique (2 contre 1 et plus) doivent être menées par une unité avec une valeur de moral supérieure ou égale à 5 si possible pour s’assurer contre tout résultat défavorable.
Il convient maintenant de confronter cette analyse avec la pratique du jeu. Tout d’abord, on constate que la quasi-totalité des unités allemandes positionnées sur la ligne de front au départ possède une valeur de moral de 4 minimum. Il faut savoir également qu’un terrain favorable occupé par le défenseur majore cette valeur de moral de 1 (terrain accidenté, ville) ou de 2 (fleuve, forteresse). C’est le cas avec le bocage normand qui élève la valeur de moral des défenseurs à 5 voire 6. Dans ces conditions, le seul moyen d’infliger 2 pas de pertes aux troupes allemandes est de lancer des attaques à 4 contre 1 avec comme unité de pointe l’une des deux divisions blindées US ayant une valeur de moral de 5. Les autres attaques déboucheront sans doute sur un combat d’attrition (résultat 1/1) que le joueur allemand ne peut pas mener à long terme et qui l’obligera à reculer (conversion de 1/1 en 0/0R). Une fois dans la « plaine », et face à des unités allemandes de seconde ligne, le joueur allié ne devra pas hésiter à attaquer tout azimut y compris avec ses unités réduites. Toutes ces remarques s’appliquent de manière moins stricte quand le joueur allié peut bénéficier d’un support aérien ou des chars « funnies » britanniques de la 79th Armored Division qui abaissent de 1 la valeur de moral des défenseurs (de 2 dans le cas des deux « carpet bombing » alloués aux Alliés pour toute la partie).
Explication de texte
Difficile de comprendre la logique derrière cette table des combats en l’absence de notes de conception. L’auteur a cependant fourni une explication que l’on peut trouver sur le site boardgamegeek. Pour lui, le facteur majeur en combat réside dans le moral des unités (et par extension l’expérience au feu). Le nombre de soldats n’est pas synonyme de succès ; il est même parfois synonyme de pertes supplémentaires à cause de la densité de troupes et de la difficulté à coordonner des assauts impliquant de multiples formations. Seules les unités les plus expérimentées (i.e., avec une valeur de moral élevée) évitent ces écueils. Exemple : valeur de moral de 3 pour l’attaquant et le défenseur. Si le RR est de 3, on obtient le résultat 0/2 et si le RR est de 4 on obtient le résultat 1/2. Pourquoi cette différence ? En fait, le résultat des 2d6 sur la première table représente la ténacité des défenseurs et par extension la rudesse (ou léthalité) du combat, symbolisée par les zones vert clair dans les figures 3a-3d.
Conclusion
Hormis le cas particulier des attaques en infériorité numérique, la table des combats de France 1944 relève d’une logique très similaire à celle que l’on rencontre dans les tables de combat plus classique. Les pertes subies par l’attaquant sont soit liées à sa faible expérience (valeur de moral faible), soit liée à la forte expérience du défenseur (valeur de moral élevée) ; de même pour les pertes du défenseur. Si vous possédez ce jeu, sortez-le du placard où il prend la poussière et invitez un ami à le tester : il le mérite. De plus, il est le seul à ma connaissance à gérer au niveau stratégique le manque d’expérience des divisions américaines fraichement débarquées (unités « Green »).

Errata

Vous trouverez ci-dessous les compléments de règles officielles (prélevés sur le site WebGrognards) pour éviter certains effets non désirés dans le jeu.
  • Initiative and Reaction Phases (Addition): No Headquarters unit may be activated more than twice per game turn. On all game turns, except game turn one, a Headquarters unit may not be activated twice in a row. Another friendly Headquarters unit must be activated between a Headquarters two activations. On game turn 1 this rule is not in effect.
  • Administrative Movement (Addition): A Combat or Headquarters unit may not use Administrative Movement to move out of supply at any time in its movement. The unit can be in supply with any friendly Headquarters unit not necessarily the one that activated it. A Combat unit may move out of supply when using normal movement only.
  • Out of Supply Effects (Addition): During the Replacement Segment of the Administrative Phase before any replacements are taken any combat unit that is out of supply loses one step. If the unit is at cadre level when this step is lost the combat unit is placed in the Eliminated Units Box and may be brought back into play immediately or later using replacement points.




Aucun commentaire: